Je suis vent, enfant-étoile avec du soleil dans la paume

Mes pieds sont de tristes ombres accrochés à la chair fuyante du vide. Entre le bruit, la bêtise et la douleur, j’ai habité les marges de l’usure, de liberté que les prestidigitateurs ont construite sur les ruines des cathédrales. Et sur ces ruines, flots de sanglots pour mouiller l’aube, c’était toujours une robe-colère et les silences qui s’y dressaient qui formaient nos prénoms (Moi et maman).

Élevé dans un paysage emmuré d’encres, bordées d’insomnie, le retour à la source me semble impossible avec le poids des absents et les promesses gitanes de psaumes brulés par les pleurs, sur ma peau. Nul pleur n’effacera les derniers souvenirs collés en lambeaux dans le vide quand le ciel ramassait ses dentelles. Nulle remontrance n’arrosera la rosée des saveurs. Ton absence est un cimetière que j’ai accroché à mes talons, comme pour refuser les cris de maman. Et encore à distance, je supporte dans tes yeux, lieu d’égarement, des fleurs mortes devenues anonymes. À chacun de tes pas, souffle des tempêtes d’amertume.

J’ai assis derrière cette bagatelle d’errance, mon âme d’enfant déchirée pour essuyer les blessures givrées qui peuplaient nos manques. Malgré nos regards tournés ailleurs, un ailleurs trop gigantesque pour nos pas d’ombre raturés, nos vieilles blessures reviennent dans nos actes comme des testaments. Pourtant, à maintes reprises j’ai tenté de faire la calligraphie de l’exil qui tombait en moi, de recoudre ces histoires de départs qui nous installaient moi et maman dans l’éphémère, de boire l’urgence que nous imposait nos cris d’enfants étouffés quand les murs prenaient les formes de nos absents. Quand les murs prenaient ta forme.

Ici, Il fait noir peine sur la vie. L’existence s’évapore de la clepsydre, comme tu avais dansé tes coups sur des couteaux tranchants, pour tuer la jeune nuit qui supportait l’amour et les plaintes de ta femme. Souvent, je ferme les yeux pour ne pas abandonner l’espoir de la voir sourire. Je suis vent, un enfant-étoile avec du soleil dans la paume, un être qui tombe, un étranger dans son propre soma. Un étranger qui se plaint de son propre inachèvement et qui a peur de chuter dans l’éternité. Parfois, J’embaume mes doigts pour ne pas essuyer le sang du dernier cadavre de la rue.

Ma bouche connait la tristesse qu’endure un enfant que les coups ont réveillé la nuit à l’heure où la lune nègre siégeait dans le trou noir qu’est le ciel. Je transporte sur mes lèvres des aveux troués de tes plaintes nocturnes et de tes entailles laissées dans la nuit. Je me laisse manger parfois sans réserve par l’arrogance que m’imposaient tes autres fils. Ceux qui ont grandi avec ton amour. Pour le moment, la seule chose réellement difficile pour moi, c’est de détourner les yeux de cette large déchirure de ciel, profonde et envenimée que tu as creusé en moi.

Cher Papa, je t’écris pour te dire que j’aime arpenter les rues de Port-au-Prince quand ses lumières s’éteignent, et quand tout son décor me rappelle ton odeur. La fumée des cigarettes emporte parfois mon mal et me rend en quintuple l’espoir d’essuyer la poussière qui couvre ce passé macabre. Je t’aime de mal, de souffrance, de regret. Je transporte tes failles de pacotille devant la mer afin qu’elle tranche pour nous deux nos maux en patience, suspendus au dessus de ma tête. Je scande ton nom à chaque passant de la ville éparpillée, en espérant que parmi eux ton visage prendrait forme et que tu me sourirais une dernière fois. J’ai arpenté des silences qui font plus de bruit que l’écho, des gestes rivières qui jadis accompagnaient le carcan de ton regard de bourreau. J’ai refusé des bras qui hébergeaient le ciel juste pour ne pas ruiner ma chance de te voir une dernière fois.

Père, ton rire a gâché l’idylle de mes mains. Entends-tu cette musique qui parle de nous deux ? De nos ratures jetées à l’insolence de notre chute. De nos mains absentes pour cueillir l’aube, de nos pétales assagis, de la poussière de ta rue. Nos secrets rescapés, vieilliront dans nos plaies à chaque fois que l’ombre et le doute pousseront des cris. Qui mangera nos ossements enclavés, la nuit quand nous mentiront pour faire taire la peur ? Que ne dirai-je pas au vent pour rallumer la braise qui s’est éteinte en ton âme?

Depuis toi, j’ai perdu mon naguère sur les limbes creuses de ta bouche. Comment revêtir le ciel de la couleur de mes veines quand toi seul connait mon mal-être ? Depuis toi, la nuit apporte sa rumeur sur ce coin de la cathédrale. Des silences heurtant les quais. Des bruits de naufrage à reconstruire le ciel. Seul persiste dans ma paume, ton orage mutilé venu de la gorge des tombes. Des aubes crucifiées, posées dans les murmures de la ville. J’ai assis tout l’été mes regrets dans tes pas. J’ai scruté les rues où tu n’y étais plus, fait un peu de poésie pour rompre avec ton odeur.

Un jour, je brulerai la mer pour nous avoir séparé autant de temps. Souvent, il me revient en mémoire des bribes de ton sourire pour conjurer mon regret. Souvent, je marche sur plus tard afin de recoudre les silences et les fissures dans mon cœur. Peu m’importe le temps que l’angoisse m’a emprisonné, peu m’importe les blessures qui avaient été gravées sur ma peau et les regrets que j’ai transporté tout au long de ma vie, Il suffit juste que tu veuilles me parler d’amour et de charbon ardent qui chauffent les sanglots jetés dans la mer.

Je comprends ton silence, d’ailleurs je parcours tes échos la nuit, sur les ruines de mon amour pour toi. Emporte mes larmes dans ta cadence de poussière, ne te retourne pas, ne revient plus. Ses soirées passés à patauger dans les mares de sang que cette ville porte sous sa traine, m’ont permis d’admettre que tous les visages prennent ton allure, comme si Port-au-Prince scandait ton nom au-delà de l’horizon pâle de l’existence.

Calems Fleurit - Mon père, ce tesson de ciel qui m’habite / Haïti

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